L’Europe est-elle en train de perdre la course technologique ?
L’Europe accuse un retard significatif face aux États-Unis dans le domaine technologique. Alors que les États-Unis comptent sept entreprises valorisées à plus de 1 000 milliards de dollars, aucune entreprise européenne ne figure à ce niveau. Le constat est similaire pour les entreprises valorisées à plus de 100 milliards de dollars : 33 aux États-Unis contre seulement 4 en Europe. Mais au-delà des chiffres, les causes de ce retard sont complexes et systémiques. Qu’est-ce qui freine réellement l’essor technologique européen, et comment ce continent peut-il se repositionner comme leader de l’innovation ?
Un retard multifactoriel
1. Un cadre réglementaire lourd et fragmenté
Les start-ups européennes sont confrontées à des réglementations nationales souvent complexes et divergentes. En Allemagne, par exemple, le processus notarial représente une contrainte majeure pour les entrepreneurs cherchant des financements, notamment auprès d’investisseurs providentiels. De plus, les universités européennes demandent parfois des parts significatives dans les entreprises exploitant leur propriété intellectuelle, ce qui dissuade les investisseurs extérieurs.
À l’inverse, les États-Unis bénéficient d’un marché unifié et de régulations plus favorables à l’innovation, permettant aux start-ups de croître rapidement sans devoir naviguer entre des cadres législatifs disparates.
2. Un écosystème de financement insuffisant
Le manque de capital-risque audacieux en Europe est criant. Aux États-Unis, des figures comme Elon Musk ou Sam Altman jouent un rôle clé en investissant massivement dans des projets à haut risque, comme l’intelligence artificielle ou la fusion nucléaire. En Europe, seuls quelques entrepreneurs, comme Daniel Ek (Spotify), prennent de tels paris. Résultat : les start-ups européennes peinent à rivaliser sur des technologies de rupture nécessitant des investissements longs et risqués.
3. Un déficit de culture entrepreneuriale
L’approche américaine privilégie l’itération rapide : lancer, échouer, apprendre, puis recommencer. En Europe, en revanche, la quête de perfection retarde souvent le lancement des produits. Par ailleurs, les écoles de commerce européennes sont davantage orientées vers la gestion d’entreprises établies que vers l’incubation de start-ups.
4. Un rôle limité des fondateurs expérimentés
Aux États-Unis, environ 60 % des partenaires des fonds de capital-risque sont d’anciens fondateurs. En Europe, ce chiffre tombe à 8 %. Ces fondateurs expérimentés, véritables « espèces clés » de l’écosystème, jouent un rôle crucial en soutenant des projets audacieux. Par exemple, Demis Hassabis, fondateur de DeepMind, a choisi la Silicon Valley pour ses premiers financements, faute d’alternatives audacieuses en Europe.
Des exceptions prometteuses
Malgré ces défis, l’Europe peut s’appuyer sur des réussites significatives :
- ASML : Leader néerlandais des équipements pour semi-conducteurs, valorisé à 275 milliards de dollars.
- Novo Nordisk : Géant danois de la pharmacie, spécialisé dans le traitement du diabète.
- LVMH : Groupe français de luxe, leader mondial dans son secteur.
- Spotify : Plateforme de streaming suédoise, valorisée à près de 95 milliards de dollars, grâce à un fondateur résolu à ne pas vendre trop tôt.
Ces exemples montrent qu’un écosystème robuste peut permettre à l’Europe de produire des entreprises compétitives à l’échelle mondiale.
Comment l’Europe peut-elle rattraper son retard ?
1. Investir dans le capital audacieux
L’Europe doit favoriser la création de fonds de capital-risque dirigés par des entrepreneurs expérimentés. Ces fonds doivent soutenir des technologies émergentes comme l’IA, la fusion nucléaire ou l’informatique quantique. À titre d’exemple, la start-up Helsing, spécialisée dans l’IA de défense, a bénéficié d’un investissement initial de Daniel Ek, catalysant ainsi un financement ultérieur massif.
2. Réduire les freins réglementaires
Une harmonisation des régulations européennes est essentielle. Par exemple, alléger les contraintes bureaucratiques pour les levées de fonds ou limiter les revendications excessives des universités sur la propriété intellectuelle pourrait rendre l’écosystème plus attractif pour les investisseurs.
3. Renforcer la culture entrepreneuriale
Encourager les échecs comme source d’apprentissage et intégrer des formations pratiques en entrepreneuriat dans les universités pourrait transformer la mentalité des futurs fondateurs. Des programmes de mentorat par des entrepreneurs chevronnés seraient également bénéfiques.
4. Favoriser l’indépendance des entreprises
Il est impératif de soutenir les entreprises pour qu’elles restent indépendantes et poursuivent leur mission sur le long terme. La vente de DeepMind à Google ou l’échec de l’Europe à conserver ARM montrent l’importance de maintenir un contrôle local sur les technologies stratégiques.
Vers une nouvelle ambition technologique
L’Europe a le potentiel de combler son retard et même de devenir leader dans certains domaines clés. Des secteurs comme la fusion nucléaire, où l’Europe dispose d’une avance scientifique, ou l’IA, où des talents émergent, offrent des opportunités majeures.
Mais pour réussir, il faudra changer de paradigme : valoriser les fondateurs expérimentés, favoriser les investissements audacieux et créer un environnement propice à l’innovation. Si ces conditions sont réunies, l’Europe pourrait voir naître ses premiers géants technologiques atteignant les 1 000 milliards de dollars de valorisation.
L’enjeu dépasse le simple domaine technologique : il s’agit de bâtir une économie plus résiliente et prospère, capable de relever les défis mondiaux tout en offrant des opportunités durables à ses citoyens. L’heure est venue pour l’Europe de se tenir fièrement sur la scène mondiale et d’écrire le prochain chapitre de l’innovation technologique.
Source : Financial Time